Seul l’étonnement connait
’ai dévoilé ce tableau il y a quelques jours et il n’a pas fallu longtemps pour que l’inévitable question surgisse : – « Pourquoi cette croix sur le citron? » Quelle idée cherchez vous donc à exprimer? » Bien que la question soit justifiée et que je tache toujours d’y répondre, je n’aime pas beaucoup expliquer mes tableaux. Ce qui a engendré la démarche de création n’est pas une idée, c’est une expérience.
Une expérience est quelque chose qui a la forme d’une rencontre. On n’explique pas une rencontre sans l’atrophier de la part de mystère qu’elle véhicule. La forme qu’a prise cette expérience pour pouvoir se dire, c’est le tableau ! D’une certaine manière le tableau est la meilleure réponse à la question qu’il sucite. Le peintre Nicolas de Staël écrivait : “On ne peint jamais ce qu’on voit ou croit voir.
On peint mille vibrations, le coup reçu.” Il me semble que le travail de l’artiste est d’insérer, dans quelque chose de sensible, l’essence d’une expérience qui, par nature, ne l’est pas. Plus l’expérience est réelle et profonde, plus elle est juste, plus la proposition d’entrer dans « le coup reçu » est prégnante et insistante. Vouloir expliquer une oeuvre d’art par un raisonnement didactique, c’est d’une certaine manière ne pas se rendre disponible à l’expérience qu’elle propose. Réduire l’art à un concept c’est le couper de sa source et de sa finalité. “Seul l’étonnement connait, les concepts créent les idoles.” Si cette maxime de Saint Grégoire de Nysse nous recentre sur l’attitude juste face à toute réalité – celle de l’enfant – elle me semble particulièrement appropriée quant à celle que nous devons tenir en regardant un tableau, en lisant un poème ou en écoutant une sonate (qui plus est en les créant!)
L’oeuvre d’art est la forme sous laquelle le mystère cherche à s’actualiser. La force et la raison d’être de l’art depuis le début de l’humanité, c’est de proposer une conversation avec le mystère. Les gens ne fréquentent pas les musées et les salles de concerts seulement pour se cultiver ou pour vivre des émotions passagères. Plus profondément, une attente de sens et de présence leur désigne les chef d’oeuvres de l’art comme le lieu où quitter l’absurde et la solitude est rendu possible. L’oeuvre accomplie est dès son origine une réalité « mise à part », un sanctuaire qui ouvre à l’étonnement face au simple fait d’exister.
Tableau del’article : LE CHOIX : Huile sur toile (lin) 700×700 mm Frederic Eymeri