Note impubliable
Petit à petit mes objets s’éteignent. Ils cherchent à s’effacer. Non qu’ils commencent à flétrir ou à moisir. Il ne s’agit pas ici de décrire un processus naturel de corruption. Ils s’effacent, et cela n’a rien avoir avec un processus de décomposition. C’est autre chose. Je le sens bien, quelque chose en eux cherche à fuir, à se dissoudre dans l’air, à se confondre avec le fond. Ils ne se projettent plus vers moi comme au temps du premier amour. Je n’entends plus « dis-nous! » « dis-nous! » J’entends « tais-nous… » « tais-nous… » « Intègre-nous davantage à ce grand fond de silence duquel nous sommes tous natifs, nous sommes là juste pour le dire Lui. Tu ne peux nous dire totalement sans dire cela! »
Ils sont là pourtant, toujours présents, mais doués d’une étrange absence. Ils se tiennent là, à moins d’un mètre, et pourtant ils sont tellement loin… Ils cherchent à gagner le silence. Ils veulent « retourner à la maison ». C’est comme si, après avoir affirmé leur présence, ils cherchaient à désigner autre chose. Ainsi sont-ils. Après avoir été soufflés sur le monde, ils en sont maintenant aspirés.
Certes, ce n’est que le début timide d’un nouvel élan, mais à ce jour il m’apparait incontournable. C’est un processus qui ressemble à une respiration. C’est comme si le mode de présence de l’être au cœur de ce qui se présente à nous respirait sur un cycle présence/absence ; et c’est tout cela qu’il faudrait pouvoir peindre.
« Ils sont là pourtant, toujours présents, mais doués d’une étrange absence. Ils se tiennent là, à moins d’un mètre, et pourtant ils sont tellement loin… »
Alors je continue de peindre des oranges, des navets et toutes sortes d’objets en tâchant de les laisser se faire happer par le silence des origines, en tâchant d’obéir à cette voix qui simultanément les affirme et les efface.
Comment en un même geste dire la chose et la taire ? Je n’en sais rien, sinon que la réponse se trouve dans le travail conscient de cette demande non-formulée et pourtant si claire… Comment marquer l’empreinte de la gomme ? Je n’ai pas de mode d’emploi ni de plan de fabrication, aucune recette à suivre. Sur la seule feuille de route qu’à ce jour j’arrive à lire sont inscrits sans fin les mêmes mots, une attitude pleine de promesse, un chemin vers la toile silencieuse.
« En cette nuit trois fois heureuse,
En secret, car nul ne me voyait,
Ni moi ne voyait rien-
N’ayant d’autre lueur ni guide
Que cette lumière en mon cœur. » [1]